#inside Mathéo Jacquemoud « Je suis un sauvage »

Publié par Martin Reyt - -
Mathéo Jacquemoud, 27 ans, est un de ceux qui marquent de leur empreinte un sport. Deux fois vainqueurs de la mythique Pierra Menta, quatre fois champion du monde de ski d’alpinisme, le gamin de Lus-la-Croix-Haute, désormais installé à Saint Nicolas de Véroce, a appris à connaitre la Montagne qu'il aime tant... Un an après l’arrêt de sa carrière en ski d'alpinisme, il revient sur cette « première vie » consacrée à la compétition.

 

Comment vas-tu Mathéo, pour ta première saison hors de la compétition ?


C’est l’un des meilleurs automnes depuis 10 ans que je viens de passer ! Enfin, peut-être pas 10 ans mais j’ai pu faire beaucoup de parapente par exemple ou sortir quand je voulais. Avant ce n’était pas possible. La vie d’un sportif de haut niveau n’est pas tous les jours facile.



Désormais libre de toute contrainte d'entrainement, Mathéo profite de la montagne différemment

As-tu des regrets aujourd’hui d’avoir arrêté ta carrière ?


Le comprendre ça c’est facile, mais le plus difficile, c’est de le faire… ça c’est autre chose. Je fais les choses pour moi pas pour les autres. Je n’ai donc aucun regret pour le moment.




Je reviens, on gagne la « Pierre » comme on voulait… Émotionnellement, c’était très fort



Pour tout le monde, j’ai arrêté parce que j’étais cramé mais en vrai, c’était mentalement que je n’avais plus envie de faire ça. Je suis revenu pour dire « ce n’est pas parce que je suis mauvais que j’arrête, c’est que j’ai envie de faire autre chose, c’est différent ! » Je reviens, on gagne la « Pierre » comme on voulait… Émotionnellement, c’était très fort. Il y avait tous les proches de présents, tous ceux qui croyaient en moi, y compris Kilian (Jornet).


Je n’ai aucun regret de ces années de sport de haut niveau. Et d’une autre manière, je fais encore du sport de haut niveau avec 3-4 heures de sport par jour (Sourire) Ça m’a apporté énormément de choses positives. Les éléments négatifs ont permis de prendre certains virages dans ma vie et c’est ce qui m’a fait grandir. Il faut continuer à avoir des rêves, à avancer…



Continuer d'avancer et vivre ses rêves...

Quels enseignements tires-tu de cette vie de sportif du haut niveau?


Je suis la caricature même d’un « déchet du sport de haut niveau ». Tout le monde ferme les yeux sur ce qui passe. Moi j’ai arrêté, non pas parce que j’étais en surentraînement, mais parce qu’à un moment donné, quand tu vis ta passion et que tu gagnes c’est bien. Mais quand tu ne gagnes plus on ne cherche pas à comprendre pourquoi. Tu dois te démerder tout seul. Il y a un manque d’accompagnement des athlètes de manière générale. Et c’est valable dans tous les sports. On ne voit que la gloire.




Il faut que le sport soit service de la vie et pas l’inverse



Tu as des privilèges c’est sûr, tu as un côté social important mais ça reste très précaire. Et ça c’est juste de temps en temps. Quand tu es jeune on ne t’explique pas ça. Quand tu donnes tout pour le sport, il faut que derrière ça suive… C’est surtout ça qui est compliqué. Je ne suis pas un déchet à proprement parlé puisque je vis bien maintenant. Mais j’ai été dégoûté du système à un moment donné.


Aujourd’hui quand j’entraîne les jeunes, l’idée est de leur dire qu’on veut arriver au même résultat mais pas par le même chemin. Dès le début, je leur dis « je sais que vous êtes bon, tout le monde le sait puisque vous êtes en équipe de France ! Le sport c’est toute votre vie. » Il faut que le sport soit service de la vie et pas l’inverse. Cela doit être la chose secondaire la plus importante. Il y aura peut-être un ou deux champions du monde parce qu’ils auront travaillé plus dur mais en attendant tous les autres, s’ils ne gagnent pas ou réussissent pas, ils auront appris à grandir avec une école de la vie qu’est le sport. Ça t’apprend beaucoup de valeurs, sur toi-même, ta confiance, les échecs… ça t’apprend aussi à rebondir. Ça t’apporte énormément de qualités. Tu es dix fois mieux armé dans la vie après, quand tu as fait du sport de haut niveau et encore plus si tu as eu des échecs, si t’as rebondi derrière. J’ai fait des erreurs aussi. Mais il m’a manqué à un moment donné ce côté humain au-delà du simple aspect de la performance.


C’est un problème de société. Dans tous les sports c’est pareil. En ski alpin, les gamins à 10-12 ans, ils vont sur le glacier de Tignes, sur de la glace avec 3 paires de ski ! Quel est l’intérêt ? À part en dégoûter quelques-un, faire 2-3 croisés à 13 ans et après sur 100 gamins, seulement 2 ou 3 vont sortir ! Ils ne vont même plus vouloir skier après ! Il faudrait leur faire découvrir les autres formes de ski et surtout la culture de la montagne. Ça marche de temps en temps, je ne peux pas nier le contraire. Quand ça marche, ça marche bien même. Mais les exemples d'arrêt prématuré il y en a plein ! Yannick Agnel, Julien Bresset, Pauline Ferrand Prevost… Tous ces sportifs ont connu l’échec du haut niveau car ils ont été dégoûté du système. Non pas parce qu’ils étaient cuits physiquement.




Kilian… c’est comme Jordan, Federer
C’est des mecs au-dessus



Comment Kilian (Jornet) fait-il pour continuer ?


Kilian… (il réfléchit) c’est comme Jordan, Federer… C’est des mecs au-dessus. Ça va au-delà du sport. Kilian il fait encore des courses parce qu’il en a besoin pour progresser physiquement mais ça reste un ermite.



Comment en es-tu arrivé là ? Comment s’est passée ton enfance ?


J’ai grandi à Lus La-Croix-Haute, un tout petit village de montagne. On était quatre gosses, ma sœur et deux voisines dont Fanny ma meilleure amie. On passait notre temps libre à jouer dans les grottes, aller sur les sommets. On avait 6-7 ans, on partait toute la journée faire 1000-1500 m de dénivelé à pied.  C’était normal pour nos parents. Ils ne se posaient pas la question si c’était dangereux ou pas. On a appris à connaitre la montagne tout seul très tôt. Mon père nous a emmené avec ma sœur à partir de 6-7 ans. On ne faisait pas du ski de rando, on montait en raquettes et ils nous portaient nos skis de piste et ensuite on descendait.




J’avais finis la liste de courses pour les guides à 15 ans !



J’ai fait 9 ans de ski alpin puis j’ai fait beaucoup de VTT pendant 6 ans. Avec mon père, on faisait déjà des 100 km en VTT quand j’avais 10-12 ans. Je préférais les efforts d’endurance. Le ski alpin j’aimais bien mais j’aimais surtout skier, aller en hors-piste. Et après, j’ai fait beaucoup d’escalade, d’alpinisme… J’avais fini la liste de courses pour les guides à 15 ans ! Mais sans vouloir la faire… je marquais tout dans un classeur. Le ski alpin s’est vite retrouvé dans des codes trop stricts et puis j’avais froid ! J’en avais marre d’attendre en haut des pistes pour seulement quelques minutes d’efforts. Je ne prenais pas de plaisir. Je rentrais le soir à la maison, je n’étais pas fatigué.



Mathéo vers le glacier de la Meije à 13 ans déjà !

J’ai fait mes premières compétions en ski de rando dès que j’ai pu, vers l’âge de 14-15 ans. Et j’ai vu que je n’étais pas trop mal. J’ai essayé quelques KV (ndlr : course Kilomètre Vertical en trail) et VTT l’été pendant 2-3 ans mais j’ai tout de suite vu que l’escalade et l’alpinisme me manquaient trop…


Le problème de tout ça c’est quand j’ai commencé à gagner mes premières courses. Tout le monde attendait ensuite à ce que je gagne… Quand tu es jeune, cette pression n’est pas facile à gérer. Il y a une certaine attente ensuite. Tu prends tout au premier degré et tu dois encaisser tout ça. Cette obligation de résultats que tu te donnes, te met la pression toute l’année si tu choisis en plus une double saison. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de me consacrer au ski de rando uniquement ensuite.



Mathéo a appris à skier sur cette piste dès l'âge de 5 ans


Quels sont tes meilleurs souvenirs de cette carrière en ski d’alpinisme ?


Il n’y en a pas qu’un… (rires) Mon premier titre de champion du monde par équipe à 21 ans avec William (Bon Mardion), j’étais encore tout jeune. Je n’ai jamais eu trop d’idoles mais courir avec un mec comme ça qui est un des maîtres de la discipline… Quand tu vois que tu es à leur niveau, c’est juste dément !




En cadet-junior, je ne gagnais pas de course…
Je n’étais pas bon



En cadet-junior, je ne gagnais pas de course… Je n’étais pas bon. J’étais placé mais c’est tout. J’ai toujours été fait pour les épreuves un peu plus longues. Et première année espoir, j’ai commencé à avoir mes premiers résultats en coupe du monde, gagner le Tour du Rutor avec Kilian. Faire des courses avec ces athlètes-là m’a fait énormément progresser, c’est comme si tu prenais deux ans d’expérience. S’entraîner ensemble, faire des courses m’a permis d’avoir une progression régulière…


Le déclenchement dans le haut niveau, il est dans les détails. Le mental compte énormément dans le haut-niveau. Physiquement, j’étais peut-être dixième mais mentalement, j’étais capable d’aller chercher devant. Tu arrives à dépasser tes limites.


L’autre souvenir marquant, c’est la Pierra Menta avec Kilian. Ce sont ces moments et ces sensations que tout sportif de haut niveau recherche. Ce sont les 10 % de moments exceptionnels face aux 90 % du temps de travail, entrainement, labeurs… Pourquoi c’est aussi fort ? Quand tu t’es donné un objectif, même un rêve, tu l’as préparé, préparé, préparé… Mais mentalement surtout ! La course tu l’as déjà fait 3 fois, 40 fois, 50 fois dans ta tête. Quand elle se passe comme tu l’avais imaginé, c’est des sensations exceptionnelles que tu retrouves nulle part ailleurs. Tout le monde veut chercher ça. C’est des moments où tu joues avec ton corps, avec la course. Mentalement tu es tellement fort que quand tu arrives tu as déjà gagné la course. À la Pierra avec Kilian, on savait qu’on allait gagner. On ne se l’est jamais dit mais on était dans le même esprit mental. Il n’y a que les courses par équipe qui font vivre ça. Tout est doublé. Les émotions sont doubles.



Le plaisir de la glisse en toute liberté grâce au ski de randonnée

Comment s’organise aujourd’hui ta nouvelle vie ?


Aujourd’hui, j’ai 4 « casquettes » avec une saisonnalité assez marquée  :

  • Guide de Haute montagne surtout l’été avec entre 25 et 30 journées d’accompagnement maximum. J’aime faire découvrir la montagne mais sous un angle différent de la voie classique du Mont Blanc par exemple. J’apprends aux gens à connaitre la montagne, à faire vivre leur rêve d’une vie pour certains. C’est des moments extrêmement forts que tu ressens si tu ne fais pas ce métier pour l’argent. Je prends le temps de connaitre le client, on apprend à se connaitre, la relation va au-delà d’une simple sortie en montagne.

  • Sélectionneur national de l’équipe de France jeune de ski d’alpinisme. Je m’occupe des stages de préparation, de la détection… J’adore transmettre tout ce que j’ai pu apprendre pendant ma carrière.

  • Mes projets personnels avec mes partenaires surtout au printemps. J’en prépare quatre pour 2018 dont la Traversée des Alpes à ski au printemps prochain.

  • Ma passion pour l’apiculture, je partage aujourd’hui 80 ruches avec des amis.



Mathéo chez lui à Saint Nicolas de Véroce

Je suis quelqu’un d’entier mais je suis aussi un sauvage. Tout ce que je fais pour faire rêver les gens j’en joue mais ce n’est pas forcément une vraie passion. Ce n’est pas exceptionnel pour moi, ça fait 20 ans que je fais ça. Et pourtant ça l’est ! Je fais les choses que j’aime faire. Ça n’a pas était tout le temps facile. Ce n’est pas donné à n’importe qui. Mais les moments difficiles, c’est comme tout le monde.




Ce n’est pas impossible que je remette un dossard



Ces derniers temps, je me suis trouvé un nouveau challenge avec le parapente. Ça me prend beaucoup de temps car je prépare actuellement le brevet d’Etat pour pouvoir faire voler mes clients. J’ai découvert une nouvelle discipline et ce n’est pas impossible que je remette un dossardLe parapente m’a donné une nouvelle motivation. Je ne ferai pas toutes les activités que je fais aujourd’hui en montagne sans le parapente.




Merci à Mathéo pour sa disponibilité et au magasin Mont Joly Sport

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